Vu dans le Figaro : Émotion avant l’arrêt des soins de Vincent Lambert
Malgré les ultimes recours, les déclarations politiques et la manifestation de dimanche, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de ce patient tétraplégique en état de conscience minimale a commencé ce lundi matin.
Des prières, des chants et un mot d’ordre: «La vie pour Vincent!» Quelque 200 personnes se sont rassemblées, sous la pluie, dimanche après-midi devant le CHU de Reims, pour protester contre l’arrêt des soins de Vincent Lambert, ce quadragénaire tétraplégique, en état de conscience minimale depuis dix ans. «Vincent n’est pas en fin de vie ; il a des réactions! martèle Viviane, sa mère, qui vient apporter un bouquet de muguet pour sa chambre. «Quand Vincent a vu ses parents, venus après avoir su la nouvelle, il s’est mis à pleurer! raconte David Philippon, son demi-frère. Il sent ce qui se passe autour de lui.» Alors que débute une semaine cruciale, que le tribunal administratif de Paris vient de rejeter un dernier recours en urgence, que le défenseur des droits estime qu’«il ne (lui) appartient pas» de trancher, Pierre Lambert, 90 ans, et son épouse Viviane, 73 ans, jettent leurs dernières forces dans ce qui est devenu le combat de leur vie: trois nouveaux recours – sans autre précision – seront déposés ce lundi, pour empêcher, selon les mots de David Philippon, la «première euthanasie légale en France». Malgré tous les moyens mis en place par la famille de Vincent Lambert, l’arrêt des soins a commencé ce lundi matin. Cette interruption prévoit l’arrêt des machines à hydrater et alimenter ainsi qu’une sédation «contrôlée, profonde et continue», ainsi qu’une prise d’analgésiques «par précaution»
Le 10 mai, le Dr Vincent Sanchez, qui dirige le service des soins palliatifs et l’unité «cérébrolésés» de l’hôpital Sébastopol de Reims, avait annoncé aux parents qu’il allait «arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles la semaine du 20 mai», sans préciser la date exacte. Puisque, selon les avocats des parents, «il s’évertue à violer les mesures provisoires» de maintien des soins exigées de nouveau vendredi par un organisme de l’ONU, le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH), dans l’attente de l’examen du dossier, une «plainte disciplinaire aux fins de radiation du Dr Sanchez, ainsi que des poursuites pénales à son encontre» seront par ailleurs lancées. Tandis que l’hôpital demeure portes closes «pour des raisons de sécurité», «ni la direction ni le personnel médical, explique le CHU, ne prendront la parole pour le moment».
Une affaire de plus en plus politique
En attendant, plusieurs collectifs, comme l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et cérébrolésés (UNAFTC) ou Alliance Vita, une association pro-vie, ont tenu à faire le déplacement à Reims pour conforter les parents. «Rappelons à ceux qui soutiennent le processus visant à provoquer la mort de Vincent Lambert qu’il induit une triple extension du concept d’euthanasie, indique Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita. Casser cette digue, c’est risquer l’inondation! Car Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, n’est pas malade et n’a rien demandé. Il a même fait preuve de sa vitalité, en 2013, en résistant déjà à un arrêt d’alimentation de 31 jours! On peut voir un “syndrome de persévération”dans le refus collectif (médical, judiciaire et politique) d’offrir à Vincent Lambert un lieu de vie et de soins réellement adapté à son état.»
« Une civilisation régresse à partir du moment où elle décide de capituler devant la souffrance »
Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate
Avec la publication samedi d’une lettre ouverte des avocats des parents Lambert à Emmanuel Macron, évoquant un «crime d’État commis au prix d’un coup de force contre l’État de droit», l’affaire a pris un tour plus politique. Après les évêques, samedi, François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux élections européennes, a lui aussi plaidé pour qu’«on se laisse le temps» pour ce dossier, dans lequel le chef de l’État devrait intervenir, selon lui. «Nous n’avons pas le droit de dire d’un homme que, parce qu’il est dépendant, il n’a plus le droit de vivre», a-t-il souligné. «Une civilisation régresse à partir du moment où elle décide de capituler devant la souffrance», a renchéri Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate. «Je ne peux me résoudre à sa mise à mort, et j’ai écrit à Emmanuel Macron pour lui demander d’intervenir», a pour sa part tweeté l’ancien ministre Philippe de Villiers.»
Pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), au contraire, «il est temps que ça se termine». «Pour éviter de nouveaux drames familiaux, la loi doit changer: c’est la demande de 96 % des Français! insiste Jean-Luc Roméro, son président, qui s’appuie sur un sondage Ipsos de mars 2019. La contradiction des différents arrêts rendus dans cette affaire prouve combien cette loi est floue et illisible. Et puis, elle ne précise pas qui, dans la famille, décide dans le cas où des directives anticipées ne sont pas rédigées. En Belgique, par exemple, il y a un ordre: le conjoint, les enfants, puis les parents. Là-bas, les parents n’auraient pas pu s’opposer à la décision de l’épouse! Ce doit toujours être à la famille de décider, quitte à ce qu’elle s’en remette à l’avis des médecins.»
Chronologie
● 29 septembre 2008
Vincent Lambert, infirmier en psychiatrie au centre hospitalier de Châlons- en-Champagne (Marne), est victime d’un accident de la route. Hospitalisé à Reims, l’homme de 32 ans, désormais tétraplégique, est plongé dans un profond coma artificiel.
● 10 avril 2013
Le CHU engage un protocole de fin de vie, en accord avec l’épouse de Vincent Lambert, Rachel, et une partie de la famille. Mais, saisi par les parents, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne) ordonne en mai de rétablir l’alimentation.
● 11 janvier 2014
Le CHU informe la famille qu’il va de nouveau arrêter nutrition et hydratation, conformément à la loi Leonetti, qui permet de refuser l’acharnement thérapeutique. Mais, le 16 janvier, le tribunal, saisi par les parents, ordonne la poursuite du traitement.
● 24 juin 2014
Le Conseil d’État se prononce pour l’arrêt des soins. Saisie par les parents, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) valide cette décision le 5 juin 2015. Mais, le 23 juillet, contre toute attente, les médecins refusent de se prononcer sur l’arrêt des soins.
● 9 avril 2018
Le CHU de Reims se prononce de nouveau pour l’«arrêt des traitements». Le 31 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne valide cette procédure. Saisi par les parents, le Conseil d’État confirme cette décision le 24 avril dernier.
● 30 avril 2019
La CEDH rejette l’action des parents. Ces derniers saisissent alors un comité de l’ONU, qui demande la suspension de toute décision d’arrêt des soins. La France passe outre. Le 11 mai, le médecin de Vincent Lambert annonce l’interruption des traitements.