Tribune de Jean-Frédéric Poisson dans Valeurs Actuelles : Notre-Dame, ou comment Emmanuel Macron n’arrive pas à s’enraciner dans une histoire qui le dépasse
Après ses mots justes prononcés lundi soir, il aura fallu moins de vingt-quatre heures pour que les vieux démons d’Emmanuel Macron ne reprennent le dessus, explique Jean-Frédéric Poisson.
En plus d’abîmer la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’incendie de lundi soir a ruiné les ambitions du président de la République et sa stratégie de sortie de crise « Gilets jaunes ». Mais, en écoutant Emmanuel Macron parler depuis le parvis de Notre-Dame, ce même lundi soir, on pouvait voir que le chef de l’État avait endossé les habits de la fonction : de l’empathie, de la gravité, de la présence, et un ton juste, le tout au service d’une humilité non feinte devant l’événement et le symbole. Et tout de suite l’expression d’une volonté forte au plus fort de la crise : « Nous la reconstruirons ». Impeccable.
Les annonces prévues le même soir et reportées attendraient encore un peu. Mais devant les flammes de Notre-Dame, une nouvelle séquence du quinquennat pouvait s’ouvrir. Elle permettrait à Emmanuel Macron de devenir président de la République, d’être conscient d’avoir au moins autant, sinon davantage, de responsabilités à l’égard de notre passé qu’à l’égard de notre avenir, d’acquérir la conviction d’être, particulièrement dans cette fonction, au service de choses infiniment plus grandes que soi-même. Il fallait peut-être l’incendie de Notre-Dame de Paris, pour rappeler au président de la République cette réalité. Il fallait peut-être que Notre-Dame de Paris brûle, récapitulant dans ses propres murs, symboliquement, les plus de mille agressions contre les lieux de culte chrétiens perpétrées en France l’an dernier, pour rappeler au chef de l’État, dans la situation où nous sommes, que l’urgence est à renouer avec nos racines chrétiennes, loin desquelles la France se délite.
Les vieux démons macroniens reprennent le dessus…
Il aura fallu moins de vingt-quatre heures pour que les vieux démons macroniens reprennent le dessus. S’adressant aux Français mardi soir, le chef de l’État voulait rester dans la trace de la veille : il serait le Président qui a reconstruit Notre-Dame… en cinq ans ! Pfff… Au moment où le chef de l’État prononçait ces mots, tout se remettait en ordre comme « à l’ancienne ». L’annonce d’un délai, dans le macronisme, c’est la « preuve produit », le point de rencontre, l’étalonnage de l’évaluation, l’indicateur de la réussite, la case en bas à droite du tableau de bord de gestion. C’est sans doute louable du point de vue de l’intention. Elle est insupportable sur le plan politique. Elle réduit la reconstruction de Notre-Dame de Paris à la simple dimension d’une ambition personnelle, alors qu’elle devrait être le plus grand dessein collectif des décennies qui viennent. Elle oublie ce que disait Talleyrand : « Le temps ne respecte pas ce que l’on fait sans lui ». Elle omet le fait qu’il n’y a aucune urgence, aucun impératif, aucune obligation, à ce que Notre-Dame de Paris soit reconstruite avant l’ouverture des Jeux Olympiques de 2024 ! En quelque sorte, elle voudrait montrer que Notre-Dame de Paris est soluble dans le macronisme. Quelle incongruité !
Au-delà des impératifs techniques et des mesures immédiates, l’urgence est à ce que les Français comprennent ce qui a failli se passer lundi soir : la destruction définitive du plus beau symbole de la chrétienté en France et sans doute dans le monde. Une perte inestimable, que le courage des pompiers de Paris et certainement aussi pour leur part les prières des Français ont permis d’éviter. La destruction partielle de Notre-Dame n’est pas une maladie infectieuse qu’il faudrait soigner à toute vitesse. C’est une blessure spirituelle, faite à l’âme de la France, et qui a besoin de temps : et c’est la blessure qui mesure le temps, non pas le médecin. Sans compter que le délai annoncé de cinq ans est très imprudent, et ne tient visiblement aucun compte de la réalité telle qu’elle s’impose à tous, chef de l’État compris.
Le chef d’État de lundi a laissé la place mardi à Emmanuel Macron : impatient, oublieux des réalités, ne prononçant pas un mot d’attention à l’égard des catholiques, et persuadé que le « maître des horloges » ( sic !…) fera lui-même sonner de nouveau les cloches de Notre-Dame.
On ne reconstruit pas Notre-Dame « à la va-vite », pour la simple satisfaction de « cocher la case ». On la respecte, on s’inscrit dans son temps à elle. On accepte de comprendre ce qu’elle porte plutôt que de lui faire porter ce qu’on veut. Une telle attitude, de la part d’Emmanuel Macron, eût été conforme mardi soir à ses propos de la veille. Malheureusement, le chef d’État de lundi a laissé la place mardi à Emmanuel Macron : impatient, pressé, oublieux des réalités, n’écoutant sans doute pas grand monde, ne prononçant pas un mot d’attention à l’égard des catholiques, et persuadé que le « maître des horloges » ( sic !…) fera lui-même sonner de nouveau les cloches de Notre-Dame. Raté.
Mardi prochain, il paraît que le chef de l’État va finalement nous dire ce qu’il avait prévu d’annoncer lundi dernier. Les mesures annoncées ces jours-ci par la presse sont loin d’être emballantes. Mardi soir, le chef de l’État pourrait annoncer un grand chantier national sur la réforme de l’État et la répartition des richesses, le renforcement des corps intermédiaires, la valorisation de la dignité du travail, la protection de la dignité humaine contre la marchandisation, qu’elle soit économique ou biologique, pour ne citer que ces grands chantiers politiques. Il laisserait alors le soin au Premier ministre de décliner tout cela en autant de mesures concrètes pour aider les Français nécessiteux. Ce serait là aussi prendre de la hauteur et se recentrer sur l’essentiel de sa fonction. Il est peu probable qu’il le fasse, et Pâques 2019 aura alors été dans l’histoire de notre pays une période particulière : celle au cours de laquelle le président de la République aura gâché deux occasions d’être ce qu’il devait être. « Chassez le naturel, il revient au galop ».