Réflexion sur la place de la culture dans la société
Retrouvez mon entretien avec Radio Londres
La culture selon… Jean-Frédéric Poisson
Nous poursuivons aujourd’hui notre série d’échanges, avec différents acteurs politiques, sur les liens qui unissent culture et politique. Nous partons d’un regard plus philosophique pour en venir progressivement à la politique plus actuelle ; nous partons des idées pour aller au sensible. Jean-Frédéric Poisson est le second élu à répondre aux questions de Radio Londres. Il est le président du parti Démocrate-Chrétien et député de la 10ecirconscription des Yvelines. Il a été, cette année, candidat aux primaires de la droite et du centre. Il nous a reçus dans son QG de campagne, près de l’Assemblée Nationale.
Merci de nous accueillir M. Poisson. On va débuter par une question plus abstraite pour ensuite tendre vers le concret. Quelle serait la place de la culture dans votre société idéale ?
Pour commencer, tout dépend de ce qu’on met dans le mot culture. Par certains aspects, le mot culture est presque synonyme du mot « civilisation » et en même temps, il peut être synonyme d’enseignement artistique ou de pratiques artistiques.
J’ai une formation littéraire. Je sais quel est le poids et l’intérêt pour la formation d’un esprit d’avoir un contact avec la littérature, l’histoire des arts, la musique ou la poésie. Je pense que l’éducation artistique doit être dispensée dès l’entrée à l’école. Dans la collectivité que j’ai dirigée pendant 7 ans (Rambouillet Territoires ndlr), nous avons mis en place des interventions de professeurs de musique dans les classes de maternelle et primaire, pour simplement faire découvrir aux enfants qu’ils peuvent faire de la musique avec parfois peu de choses, un stylo, un crayon. C’était une expérience absolument magnifique. J’ai également assisté, il y a quelques années, à un cours de philosophie donné à des élèves de CM1. On se rend compte qu’on peut ainsi aider les enfants à se familiariser avec différentes disciplines tout en restant très exigeant dans ces enseignements. Les pratiques artistiques doivent être enseignées dès le plus jeune âge.
Je suis absolument persuadé que l’organisation actuelle de la culture en France est un frein à la création. Par exemple, des membres de ma famille sont depuis longtemps des artistes professionnels. Ils n’ont pas la chance d’être dans les circuits officiels, ils ne sont pas les amis de ceux qui décident. Dans ma circonscription également, des personnes essayent de participer à des concours internationaux d’architectes, de sculpteurs, mais ils ne connaissent pas les bonnes personnes. Je ne dirai pas que cette organisation est mafieuse, mais elle fausse certainement l’aide à la création. Le fait qu’on ait organisé les choses de manière publique empêche que la liberté subsiste. Je plaide pour le rétablissement du mécénat, plutôt que de donner la priorité à l’organisation publique d’aide à la création.
L’éducation culturelle doit continuer à se faire de manière publique. En revanche, pour la diffusion culturelle, la priorité devrait être donnée à l’installation du mécénat. D’ailleurs on constate dans l’histoire des arts que les périodes les plus florissantes étaient celles où le mécénat était à l’œuvre.
Le mécénat ne comporte-t-il pas le risque de laisser aux seules personnes financièrement aisées le choix de certains artistes et la censure des autres ?
C’est exactement ce qu’il se passe aujourd’hui. Sauf qu’actuellement, c’est avec l’argent du contribuable.
Est-ce dans cette optique que vous avez déclaré en mai 2016 qu’il fallait « supprimer le Ministère de la Culture » ?
C’est une urgence absolue. Revenons d’abord sur la responsabilité de l’Etat dans la préservation et la transmission du patrimoine culturel de la France. Les bâtiments et les œuvres doivent être supportés par l’Etat, parce que lui seul a la capacité de les préserver et de les rendre publics. J’observe que dans beaucoup de cas, l’Etat aide les propriétaires privés de belles demeures ou de musées par le biais de réductions fiscales ou de tarifs. C’est une articulation qui me paraît pertinente parce que la transmission du patrimoine fait partie de la responsabilité de l’Etat, il doit y veiller.
Maintenant, pour la diffusion culturelle, c’est autre chose. Elle doit être le choix de responsables locaux déterminant la meilleure programmation. Comme patron de collectivité locale, je n’ai pas de besoin de l’Etat pour qu’il m’explique qui je dois faire venir dans ma salle de spectacle et comment l’organiser. L’Etat peut m’aider pour définir le référentiel pédagogique à partir duquel j’ouvre une école de musique ou de danse, là je suis d’accord.
Donc, la protection du patrimoine, c’est le rôle de l’Etat, comme le cadrage de l’enseignement culturel. En revanche, pour la diffusion culturelle et pour l’aide à cette diffusion, je ne vois pas à quoi peut servir l’Etat. Je plaide pour que le Ministère de la Culture, qui ne fait plus, en quelque sorte, que soutenir des programmes de diffusion, laisse cela à la liberté des collectivités.
Quelle devrait être la place de la culture dans l’exercice politique d’un Président ?
Le chef de l’Etat doit s’assurer que le patrimoine national est préservé et transmis aux générations qui suivent. Sans distinction de patrimoine. Autant le château de Chambord que le Centre Beaubourg. C’est cet ensemble qui constitue le bien commun de la France, partie extrêmement importante sur le plan de l’Histoire, de la formation des esprits. Il est à la fois notre passé, notre avenir. Il influence nos relations avec l’étranger, je pense notamment au musée du Quai Branly. Je veux que la culture soit la préoccupation du premier ministre pour bien montrer qu’elle est transversale, que c’est la responsabilité de tout le gouvernement et qu’il n’y a pas de concurrence.
Ensuite, il y a la question de la Francophonie. On a tord de la dissocier de la culture. Le Français sera, en 2050, la langue la plus parlée au monde. Dans la défense et la promotion du patrimoine français, la langue est un élément extrêmement important. Je ne comprends pas pourquoi la Francophonie est dissociée à ce point de l’action culturelle. Cela implique le soutien aux lycées français, le soutien aux Alliances françaises qui font un boulot incroyable. En revanche, le reste doit relever des collectivités locales, pas de plan d’ensemble et surtout pas de culture officielle.
Un Président de la République aussi impliqué dans la culture que l’était François Mitterrand créait-il une culture officielle ?
Le Président Mitterrand avait une vision de la culture qui s’incarnait à la fois dans le prestige et dans la création. C’est sous sa responsabilité que la Pyramide du Louvre et l’Arche de la Défense ont été bâties. Il a voulu marquer son époque. Il aimait incarner la présence et la permanence de l’Etat à travers des réalisations à caractère culturel ou architectural. Ce n’est pas tant la promotion d’une culture officielle, mais plutôt la volonté de marquer ce qu’est l’Etat à travers des réalisations de cette nature. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
La Fête du cinéma et la Fête de la musique sont des opérations que je comprends. C’est bien le rôle de l’Etat : il impulse un cadre dans lequel les acteurs décident ensuite librement. C’est l’antithèse de la culture officielle. Chacun fait son programme. En somme, c’est : « réunissez vous autour de quelque chose que vous pouvez facilement partager et faites en ce que vous voulez ». Il faut laisser les Français faire comme ils veulent.
Comment votre culture personnelle vous a servi dans votre expérience politique ?
Elle me sert tout le temps. J’ai la chance d’avoir pu consacrer beaucoup de temps à la culture. J’ai grandi entouré de musique, les 33 tours en vinyle tournaient toute la journée chez mes parents. J’ai toujours beaucoup lu. J’ai fait de longues études de philosophie à l’université, qui est un lieu de culture sans équivalent. J’ai été amené à être publié. Je vis avec la culture constamment.
Quand on est législateur ou responsable politique, on essaye de chercher des mots ou des pistes de réflexion qu’on peut retrouver dans l’Histoire, dans la philosophie. Je suis toujours surpris de la permanence de la condition humaine. Personne n’aurait pu écrire le scénario de la campagne présidentielle qu’on connaît aujourd’hui et pourtant, on retrouve des ressorts de la Comédie Humaine de Balzac. Ces ressorts sont toujours les mêmes. Les hommes que décrit Platon sont, au fond, semblables à ceux d’aujourd’hui. L’environnement change, mais les luttes de pouvoir restent les mêmes. Comme les passions et les relations politiques. Non pas que l’Histoire se répète, mais elle met en scène des acteurs qui ne changent pas. La philosophie et l’Histoire sont très importantes pour comprendre la société. Et la musique est extrêmement présente dans ma vie.
Pensez-vous que la musique française actuelle soit une clé de compréhension de notre société ?
Bien sûr, l’art est un facteur de compréhension des sociétés, soit pour les décrire, soit pour les contester. Je jette de temps en temps un œil aux émissions de talents comme The Voice. Ce qui m’émeut le plus, c’est de voir la surprise des jurés quand ils sont percutés par une voix. C’est le triomphe de la vérité, du talent et de la modestie. Mais au-delà de ça, en France comme ailleurs, je trouve qu’il y a une tendance à se standardiser. Il y a moins de différence entre les voix. Il n’y a d’ailleurs plus d’émissions de variétés le soir, ce qui était constitutif de la vie des français, constitutif d’une culture populaire sur petit écran.
Le rap est très curieux. Cette musique n’a jamais été soft. J’ai écouté avec intérêt les textes d’Akhenaton et de Grand Corps Malade. J’écoute toujours MC Solaar parce que je trouve qu’il est le plus talentueux. Cet univers est riche, mais à en vouloir trop en faire, il y a un surcroît de violence qui est inutile. J’ai passé 15 ans de ma vie dans les HLM de la banlieue parisienne. C’est un univers que je connais bien. Il était moins violent quand j’étais petit. Je trouve qu’il y a quelque chose de surjoué, c’est dommage. Il y a beaucoup de talents, mais ils se perdent dans cette exagération. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait Talleyrand.
Vous vous exprimez avec aisance au sujet de la Culture. Pourquoi, en règle générale, n’en parle-t-on pas plus dans les médias ?
D’abord parce que quand on a une vision gestionnaire de la politique, la culture est un petit sujet. Le budget de la culture est réduit par rapport aux autres. Ensuite, je ne suis pas certain que ceux qui étaient sur le plateau (du débat des présidentielles de TF1, ndlr) avaient lu beaucoup de livres récemment.
Ceux qui ont inventé la philosophie en Grèce ont profité du fait que les citoyens grecs étaient presque dispensés de travailler. La société grecque est une société faite pour le loisir des citoyens. On ne fait pas de philosophie si on n’a pas le temps. Dans une large mesure, la culture c’est la même chose. Il faut du temps soit pour apprendre, soit pour contempler, soit pour produire soi-même. Il est difficile de s’extraire de la frénésie permanente de la vie politique, dans laquelle nous sommes pris les uns les autres. On ne comprend plus que le recul et la distance sont nécessaires dans la prise de décisions politiques.
Quelle est votre analyse, sur ce point, des chaines d’information en continu et des réseaux sociaux ?
Ils sont souvent une forme d’antithèse de la culture. La rapidité et la facilité avec laquelle on déploie de l’agression sur les réseaux sociaux me sidère à chaque fois. Ce qui m’intéresse dans le discours des autres c’est leur part de vérité. Mon philosophe de référence, Thomas d’Aquin, disait qu’il n’y a pas de discours qui ne contienne pas une part de vrai. Prenez Mondrian, ce qui est intéressant, c’est de comprendre ce qu’il y a comme intention. Encore une fois, il faut du temps, le temps est indissociable de la culture.
Sur ces derniers mots, nous retrouvons le Boulevard St Germain et sa frénésie. Jean-Frédéric Poisson était le second élu à participer à cette série d’échanges. Nous conclurons avec sa réflexion portant sur le temps et la culture : devant nous les bâtiments séculaires du Palais Bourbon, plus loin la place de la Concorde et l’église de la Madeleine ; le temps et la culture figés dans la pierre.