Tribune de Jean-Frédéric Poisson sur Atlantico : Macron avec les armées : le pouvoir sans autorité incline à la brutalité
Alors que l’on vient d’apprendre la mort au combat du médecin-capitaine Marc Laycuras, tué ce 2 avril 2019 au Mali après que le véhicule où il se trouvait a été la cible d’une attaque commise au moyen d’un engin explosif improvisé, Jean-Frédéric Poisson revient sur le lien entre Emmanuel Macron et les armées.
Un médecin militaire déployé au Mali au titre de l’opération Barkhane est mort hier à la suite d’une attaque commise au moyen d’un engin explosif improvisé (IED) qui a également blessé un autre militaire. Si le sacrifice suprême fait partie de la vocation du soldat, ceux-ci ont cependant le droit d’être considérés par le pouvoir politique à la mesure de leur engagement.
Devant un tel acte de bravoure, je ne peux que pointer du doigt le rapport qu’entretient Emmanuel Macron avec les armées, entaché de la volonté du Président de se jouer de sa fonction. Là, comme ailleurs, il surjoue ou, à l’inverse, il casse les conventions.
Cherchant en vain à se construire une quelconque autorité que son élection minimaliste ne lui a pas conférée, le président Macron ne peut que s’arcbouter sur la communication et les postures, utilisant le pouvoir que lui accorde la constitution, avec cette dérive logique que le pouvoir sans autorité incline à la brutalité.
C’est ainsi qu’a été vécue par les militaires – et par de nombreux Français – la démission en juillet 2017 du chef d’état-major des armées, le général de Villiers. Ses propos mettant en garde les députés lors d’une audition devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale contre une baisse du budget de la défense n’ont pas plu à l’Elysée. Ce qui lui a valu de subir en retour la colère présidentielle exprimée lors du traditionnel discours aux armées prononcé à l’Hôtel de Brienne la veille du 14-Juillet, le tristement fameux : « Je suis votre chef ! ». Martelé avec insistance, Emmanuel Macron révélait à son insu son manque totale d’autorité et sa volonté de pouvoir dominant. Ce qu’il a voulu asseoir en allant à la rencontre des militaires de la base aérienne d’Istres (Bouches-du-Rhône), revêtu de l’uniforme. Sauf que l’habit ne fait pas le moine…
Cette séquence en deux actes est révélatrice du syndrome de « toute puissance » qui frappe Emmanuel Macron. La suite de son mandat n’a fait que confirmer l’instrumentalisation de son rôle de chef des armées, utilisant la sphère militaire comme un moyen à sa disposition renforçant l’image de son pouvoir.
La récente sanction subie par le Colonel Legrier, auteur d’un article publié dans la Revue Défense nationale en février dernier, relève d’une certaine façon de cette même addiction au pouvoir qui gangrène la Macronie et autorise toute parole à condition qu’elle soit identique à celle du Président. Cette affaire ne peut que susciter l’étonnement à plusieurs titres. D’abord, elle se déroule alors que les militaires sont encouragés par l’actuel chef d’état-major des armées à prendre la plume et faire publier leurs retours d’expérience. « Il faut écrire, explique le général Lecointre dans Le Figaro du 18 janvier 2018. Faire l’impasse sur l’écriture n’est pas admissible chez ceux qui se disposent à être des chefs militaires ».
Encourager d’un côté pour être sanctionné de l’autre : ne serait-ce pas là un nouvel avatar de la ligne politique chaotique du « en même temps » porté par la ministre des armées ? Et ce alors même que l’article incriminé n’est en rien un pamphlet mais un discours construit et argumenté, qui ne dévoile aucun secret militaire. Il entend en effet soumettre la stratégie employée par les Alliés dans la guerre contre Daech en Irak et en Syrie à la critique objective. A-t-il été publié au mauvais moment alors que l’officier était encore en OPEX ? C’est possible. Son propos peut-il être discuté ? Indéniablement. S’il est vertueux de favoriser l’expression publique des militaires, cela devient alors absurde et incohérent de s’opposer à toute publication qui s’écarterait un tant soit peu des éléments de langage officiels. Ce faisant, le ministre devient dès lors le garde chiourme d’une ligne stratégique militaire sur laquelle les militaires, spécialistes en la matière, n’ont plus droit de parler. D’ailleurs, comme l’a souligné le colonel Michel Goya dans Le Monde du 26 février dernier, « c’est comme cela que l’on évolue vraiment et qu’on développe des idées neuves, avec une dose de critique autour de l’action, qui n’exclut en rien la discipline dans l’action ».
C’est cette forme d’ambigüité et de mépris qui suscite l’inquiétude et l’exaspération des militaires, et des Français en général. Comment ici ne pas faire le lien avec l’annonce faite par le gouvernement de recourir potentiellement aux soldats de l’opération Sentinelle pour sécuriser les bâtiments officiels lors du déroulement de l’acte XIX des Gilets jaunes ? Une annonce qui n’a pas manqué dès sa diffusion médiatique de susciter tensions et crispations, tant la communication institutionnelle était brouillonne, et en décalage avec la réalité. Heureusement, les militaires de l’opération Sentinelle ne se sont pas retrouvés au contact de manifestants et n’ont donc pas mené d’opérations de maintien de l’ordre. La réalité est que l’annonce gouvernementale était destinée à frapper les esprits en créant un sentiment de grande insécurité sur le dos de nos soldats déjà bien éreintés par ce dispositif Sentinelle pesant depuis quatre ans sur les régiments, les militaires – et leurs familles – et des Gilets Jaunes présentés ainsi comme un « ennemi ». Quelle manipulation !
Au nom du devoir de réserve, les militaires ne se plaignent ni ne manifestent. Ils ont simplement l’impression légitime de ne pas être suffisamment considérés par le pouvoir politique. Il est temps que celui-ci prenne la mesure du désarroi qui étreint les armées qui méritent, plus que jamais, le surnom de « Grande muette ». Et plus encore, notre reconnaissance pour la qualité de son savoir-faire, de son abnégation, et des nombreux sacrifices auxquels vient tristement s’ajouter la mort du médecin-capitaine Marc Laycuras, tué ce 2 avril 2019 au Mali.