Faisant partie des 11 députés à avoir exercé une activité de chef d’entreprise, je suis très favorable à l’économie de marché et très attaché à la liberté d’entreprendre et à la responsabilité individuelle, mais dans la tradition française, c’est-à-dire avec une action régulatrice de l’Etat.
L’autre raison de l’échec de cette loi, c’est qu’elle ne s’est pas attaquée aux causes principales de nos difficultés économiques.
Le débat s’est focalisé sur la complexité (avérée) du Code du travail sans se soucier du cadre dans lequel évoluent nos entreprises. Cette simplification du code du travail est évidemment nécessaire. Mais on pourra simplifier le code du travail à outrance, cela ne servira pas à grande chose si l’on ne règle pas le problème de la concurrence déloyale au sein de l’Union Européenne et dans le cadre du commerce mondial.Cette concurrence déloyale est flagrante dans 3 domaines :social, fiscal et environnemental. Elle pénalise massivement l’emploi. Je plaide pour une stratégie défensive que ce soit en matière industrielle ou agricole. Le dogme du libre-échange ne doit plus être l’alpha et l’omega de la politique européenne. Tous les autres pays du monde, à commencer par les Etats-Unis défendent leurs intérêts. A l’intérieur de l’espace européen, la lutte contre le dumping social et fiscal entre Etats-membres doit être mise sérieusement à l’agenda de l’UE. De même, l’Union doit impérativement réorienter sa politique commerciale et entamer un processus de renégociation de ses traités commerciaux avec ses partenaires extérieures. Il est tout à fait possible de le faire. Je souhaite que la France prenne le leadership sur ce sujet. La remise à plat des règles du jeu doit être l’une des priorités du prochain quinquennat.
Autre sujet majeur que ce texte n’a pas traité : les bouleversements liés au numérique et l’uberisation de l’économie. Cette lame de fond tend à remplacer le salarié par un travailleur autonome ; le contrat de travail (auquel sont attachés des droits et des devoirs) par une dépendance économique du prestataire vis-à-vis de la plateforme; le métier (et avec lui la transmission de savoir-faire) par l’activité. L’uberisation fragilise notre modèle qui est d’abord fondé sur les cotisations assises sur le travail et qui risque de disparaître entièrement.
Or, rien dans ce texte n’est prévu sur cette uberisation ni sur le nécessaire équilibre entre la liberté d’entreprendre et la préservation de notre modèle social.
Le rôle du politique et du législateur est pourtant d’anticiper ces mutations, de créer les conditions d’une compétition équitable et de préserver le financement de notre protection sociale.
La régulation de la nouvelle économie est une question majeure pour les années à venir. C’est une question de justice.
L’une des solutions à envisager serait de poser le principe du travailleur, quel que soit son statut, salarié, indépendant, profession libérale, commerçant. Dans cette logique, les droits et devoirs sont attachés à la personne et non au statut. Tout travailleur aurait droit à un socle de protection sociale, mais avec l’obligation parallèle de financer ce socle. Ce qui permettrait d’adapter notre système au monde du travail actuel fait de ruptures, et de permettre aux personnes de consacrer du temps à des activités qui ne sont pas nécessairement salariés.
Travailler, c’est participer à l’œuvre commune. Ainsi les bénévoles travaillent, les parents qui élèvent leurs enfants travaillent. Je souhaite que nous retrouvions cette dimension collective du travail et que nous trouvions un juste équilibre entre compétitivité des entreprises et cohésion sociale. Dans ce sens, ce texte de loi est passé à côté de son sujet.