Le ton est donné !
Extrait de l’audition de Mme le Garde des Sceaux.
M. Jean-Frédéric Poisson. La question de la surpopulation carcérale et des conditions de détention abominables ne date pas d’hier : c’est entre 1997 et 2002, Mme Guigou et Mme Lebranchu étant gardes des Sceaux, que deux rapports – l’un à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat – l’ont évoquée pour la première fois. Nous avons, en la matière, une responsabilité collective. Allez-vous rénover les établissements anciens et mener à terme les programmes de construction de places nouvelles ? Allez-vous poursuivre la réflexion sur les peines de substitution, engagée depuis une quinzaine d’années par les majorités successives ?
J’ai bien noté que vous souhaitiez que l’on vous juge sur les propos que vous avez tenus et non pas sur ceux qu’on vous fait tenir. Ma question va donc être très précise. Madame la garde des Sceaux, confirmez-vous les propos qu’on vous a prêtés et selon lesquels ceux qui se sont rendus coupables d’avoir brûlé un drapeau français en place publique le soir du second tour de l’élection présidentielle ne pouvaient être poursuivis, ni inquiétés, ni condamnés – pas même sur le plan éthique –, car il ne s’agissait, selon les propos qu’on vous aurait prêtés, que d’une manifestation de liesse collective – je cite de mémoire ? Si vous les confirmez, doit-on alors considérer que votre interprétation de l’article du code pénal qui punit de 7 500 euros et de six mois d’emprisonnement le fait d’outrager les symboles de la République signifie qu’il est encore en vigueur dans votre esprit ? Ou entendez-vous le modifier ?
Êtes-vous favorable à une réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants ? Envisagez-vous de distinguer la consommation de l’incitation à la consommation et du trafic ?
Vous avez enfin rapidement évoqué la justice sociale. Pourriez-vous préciser vos intentions à l’égard de la justice prud’homale ?
Mme la garde des Sceaux. Pour répondre à M. Poisson, je vais adopter un ton solennel. En tant que garde des Sceaux, j’ai une responsabilité particulière à l’égard de la Constitution qui, en son article 2, dispose que « l’emblème national est le drapeau tricolore ». Avant que je sois nommée garde des Sceaux, personne, en aucune circonstance, ne m’a jamais entendue dire – et moi, je ne me suis jamais surprise à penser – qu’il était banal de brûler les symboles d’appartenance. Aussi, vous ne faites ici que propager des calomnies. Tout d’abord, il n’y a jamais eu de drapeaux brûlés place de la Bastille le soir du second tour de l’élection présidentielle. Il n’y a pas eu de fait. Mais, comme on me crédite du pouvoir de réaliser des exploits, on va jusqu’à dire que j’ai réussi à commenter, sur RFI, un événement qui n’a jamais existé et l’on m’a accusé d’avoir déclaré que brûler des drapeaux participait de la liesse populaire, que ce n’était pas grave. On a même précisé que j’avais fait ces déclarations en tant que garde des Sceaux – la non-rétroactivité semble ne pas être un principe démocratique pour des tas de gens – alors que, le 6 mai, je n’avais évidemment pas encore été nommée ! Un communiqué de presse signé par l’UMP des Bouches-du-Rhône, et comportant le nom d’un responsable de ce parti et un numéro de portable, a même repris l’information, que l’on a retrouvée pendant une semaine sur Twitter et sur différents sites. Ce communiqué est de la pire calomnie. RFI a pourtant confirmé que je n’avais jamais tenu de tels propos et a passé tout un week-end à répondre aux journalistes qui l’interrogeaient à ce sujet. J’aurais pu poursuivre en diffamation la section UMP des Bouches-du-Rhône, mais, étant garde des Sceaux, j’ai préféré m’abstenir. Je suis ravie à l’idée que le compte rendu de cette audition contribuera à rétablir la vérité, même si je m’étonne que, pour certains, la première calomnie lancée sur internet puisse constituer un sujet de débat en commission des Lois.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je réclame le droit de poser les questions que je veux dans le cadre de cette Commission, sans que l’on m’accuse de propager des calomnies !
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, dans cette maison, la parole est libre. Dans le cadre d’un débat démocratique, la confrontation des points de vue est souhaitée. Les parlementaires posent les questions qu’ils jugent utiles et les membres du Gouvernement leur répondent comme bon leur semble. Jean-Frédéric Poisson aura donc contribué à laver la querelle qui est faite à Mme la garde des Sceaux.
Mme la garde des Sceaux. Dois-je l’en remercier ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je protège l’expression de tous les parlementaires.