Mais qui est donc ce type qui semble s’être incrusté sur la photo ? A l’ombre des gros bonnets de la droite, Jean-Frédéric Poisson est l’inconnu au bataillon de la primaire. Seul candidat à n’avoir jamais été ministre, il n’est pas chez Les Républicains (LR) mais à la tête d’une chapelle affiliée, le Parti chrétien-démocrate (PCD). Ce qui n’est pas qu’une coquetterie : «Moi, je ne suis ni libéral, ni atlantiste, ni fédéraliste.» Au déjeuner de famille, le quinqua au sourire sincère, cheveu frisotté et cou rentré dans ses épaules de pilier de rugby, serait «le cousin éloigné venu de province». La primaire n’est même pas son genre de beauté. Un truc d’Américains, sans doute trop paillettes pour le député des Yvelines, coutumier du débat parlementaire sous son jour le plus aride. Seulement, Poisson voulait défendre la ligne de son PCD. Mais sans risquer de chiper au candidat LR les deux points qui le priveraient de second tour, comme d’autres ont été accusés d’avoir fait trébucher Jospin en 2002. «Je ne serai pas le Chevènement ou la Taubira de 2017.» Va pour le Jean-Michel Baylet de la primaire de droite.
Comme le radical de gauche, candidat décalé de la primaire PS de 2011, il mise pour se faire connaître sur les débats dont le premier se tient jeudi sur TF1. Là, le téléspectateur a intérêt à s’accrocher à son plateau-repas. Si Baylet avait fait sensation en prônant la légalisation du cannabis, on ne mise pas sur Poisson pour préempter le terrain fumette. Son créneau à lui est ultraconservateur. Du lourd. Proche de la Fondation Lejeune, le catholique se bat à l’Assemblée contre les textes visant à faciliter l’accès à l’IVG. Dans sa croisade pour «libérer la France de Mai 1968», il veut abroger la loi sur le mariage pour tous. Mais, pourtant ardent défenseur de la famille, il souhaite en finir avec le regroupement familial pour les immigrés. Va comprendre ! Tranquillement, il rêve d’inscrire «les racines chrétiennes de la France» dans la Constitution et de déboulonner le droit du sol. Diplomatiquement, il est aussi décoiffant. Lui, qui à la barbe du Quai d’Orsay a vu deux fois Bachar al-Assad dans ses salons à Damas, appelle à s’appuyer sur le dictateur contre l’Etat islamique. Frayer parfois avec l’extrême droite ne le gêne pas non plus. Marion Maréchal-Le Pen dit avoir pour lui «une sympathie humaine et politique». «On est tous les deux attachés au respect de la vie humaine et de la culture française», concède-t-il tout en notant des divergences «irrémédiables» avec le FN, dont la préférence nationale. En mai, Poisson s’est rendu au raout du maire de Béziers, Robert Ménard, qui voulait réunir «la vraie droite». Il rétorque qu’il accepte aussi l’invitation d’une fédé de la CGT pour dire tout le mal qu’il pense de la loi travail. Réac sur les sujets de société, cet eurosceptique donne un coup de volant à gauche sur l’économie avec revenu universel, protectionnisme ou en s’opposant au travail du dimanche. Le tout, jure-t-il, a sa «cohérence : le respect de la personne». «Je ne sais pas me couper en deux, je vis comme un chrétien, je fais de la politique comme un chrétien». Dieu lui est tombé dessus un «samedi 30 janvier 1982 à 9 h 15». Il ne l’avait pas prévu. C’était en cours. Le lycéen a été «happé par cette révélation». Il est très pratiquant, messe du dimanche et tout le toutim. S’il en défend le schéma tradi, Poisson, qui est marié et n’a pas d’enfant, n’est pas issue d’une famille catho bien comme il faut. «Qu’on ne se méprenne pas, je ne projette aucun modèle. On fait sa famille comme on peut la faire.»
Ses parents à lui ont fait tout ce qu’ils ont pu. Technicien dans l’industrie, son père est percuté par la crise du choc pétrolier de 1973. CDD, intérim avec quatre heures de trajet aller-retour et chômage. «On peut être détruit par cette série de portes qui vous claquent à la figure», témoigne Poisson. Ils ne sont pas si nombreux les hommes politiques à avoir vu à l’œuvre la violence du monde du travail, qui brise les adultes et flanque sur les épaules des gosses «son fardeau honteux et sa charge de rancœur et d’injustice». Ses parents bourguignons trimballent leur fratrie de quatre d’un bled de la Drôme aux cités de Villeneuve-la-Garenne, en banlieue nord de Paris, avant de divorcer. «Malgré tous les efforts de nos parents, il y a quelque chose qu’on n’a pas réussi collectivement.»L’ado s’ennuie à l’école, se fait virer de huit collèges et lycées avant de découvrir la philo qu’il étudie jusqu’au doctorat. Directeur d’une MJC et d’une colo pour des enfants de la Ddass, puis chargé du reclassement des employés débarqués d’une boîte du Nord, lui qui «ne sait pas trier entre assistance et assistanat» regarde la politique de loin. Jusqu’à sa rencontre avec Christine Boutin dans un colloque en 1993. Elle est bluffée par ce thésard qui bûche sur «la dignité dans les lois de bioéthique» et le recrute. Directeur de campagne, dircab, suppléant. Christine Boutin le cornaque et lui lègue la circonscription et le parti. «Dès les années 2000, j’ai tout préparé pour qu’il prenne ma succession», dit-elle. Raccord sur le fond, le protégé n’a pas la propension au dérapage de sa toquée du tweet : «Disons qu’elle est plus anguleuse…»
Acharné au travail, érudit, réfléchi, il est l’un des plus respectés de l’Assemblée où il est de tous les cercles : XV parlementaire (l’équipe de rugby du Parlement), coteries de fumeurs de pipes et de chasseurs. Lui vise la plume et le lièvre en forêt de Rambouillet. «Quand il intervient dans l’Hémicycle, ce n’est pas pour bavasser, il fait autorité», explique le socialiste Régis Juanico. «On a des positions orthogonales mais il est sympa et de bonne composition. On aimerait ne pas l’aimer pour que tout soit raccord !» ajoute Olivier Dussopt (PS) quand Sébastien Denaja (PS) décrit «un type avenant, courtois, drôle» qui «déploie ses talents au service de la droite la plus réactionnaire». Ses amis dépeignent «un bon vivant aimant les bonnes tables». Un cordon-bleu qui se targue de cuisiner «le meilleur risotto au sud de la Seine et une blanquette de poulet teriyaki dont on dit qu’il n’y en a pas de semblable dans le périmètre». Ses quatre heures de sommeil par nuit lui laissent le temps d’écouter du jazz (Miles Davis, Scott Henderson), de la salsa cubaine et de se replonger dans Mauriac, Havel, Baudelaire, Saint-Exupéry.
Sur sa table de chevet, il y a aussi un Coran qu’il a déjà lu. Depuis deux ans, il apprend l’arabe, «par honnêteté intellectuelle pour connaître le sujet dont on parle : la place de l’islam est une des questions cruciales posées à la France». Il tient sur le sujet un discours dur, à faire rougir un Sarkozy déjà bien chaud. Au second tour, l’ex-Président aurait logiquement sa voix face à Juppé dont il raille «la naïveté heureuse». Mais il «jouera le jeu» et soutiendra le vainqueur quel qu’il soit. Poisson-pilote d’un sarkozysme toujours plus trash. Ou nageant à contre-courant d’une droite un peu plus raisonnable.
22 janvier 1963 Naissance à Belfort (Territoire-de-Belfort).
2004-2007 Maire de Rambouillet (Yvelines).
2007 Devient député.
20 novembre 2016 Premier tour de la primaire de la droite.