INTERVIEW Législatives, Aurore Bergé, fracture de la droite… – Valeurs actuelles
Législatives, Aurore Bergé, fracture de la droite…
Bastien Lejeune / Mercredi 17 mai 2017 à 11:45
Législatives. Candidat dans les Yvelines face à Aurore Bergé, le président du Parti chrétien-démocrate (PCD) Jean-Frédéric Poisson, qui appelle de ses voeux une clarification idéologique à droite, se confie à Valeurs actuelles.
Valeurs actuelles. Dans la perspective des prochaines élections législatives, La République en Marche ! a investi Aurore Bergé dans votre circonscription des Yvelines. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J-F. Poisson. Il y a d’abord une différence d’intention entre la candidature de madame Bergé et la mienne. Je ne suis pas candidat contre quelqu’un, mais parce que je suis enraciné dans cette circonscription depuis le début de mon engagement politique. Je suis élu localement depuis 1995, j’ai exercé tous les niveaux de responsabilité en mairie et dans la communauté d’agglomération. Toute ma vie est organisée en fonction de ce territoire qui me passionne et auquel je suis profondément attaché.
En face de moi, arrive une candidate qui n’habite pas là, ne connait pas cette région, et dont le seul objectif est de me faire battre. Je suis un homme de fidélité. À mes amis, ma famille politique, mes convictions, et mon territoire. Aurore Bergé a, dans tous ces domaines, une tendance avérée à changer régulièrement. L’élection à venir est l’histoire d’une confrontation entre deux visions de la politique ; l’une est enracinée, l’autre est nomade.
Ce sont aussi deux visions de la société radicalement différentes qui s’opposent. Aurore Bergé parle de vous en ces termes : “Il a voté contre le Mariage pour Tous, il est contre l’IVG, il est allé voir Assad en Syrie”…
Mon bilan parlementaire témoigne du fait que j’ai traité de beaucoup d’autres sujets que ceux-là. J’ai été Vice-président de la commission des lois, j’ai présidé la mission d’information sur les moyens de Daech, cela en travaillant en parfaite intelligence avec le rapporteur issu de la majorité. C’est aussi avec un collègue de la majorité socialiste que j’ai écrit un rapport fouillé sur la question de l’accès à l’autonomie pour les jeunes et les parcours d’accès à la vie professionnelle et l’indépendance. J’ai déposé je ne sais combien d’amendements sur les lois Sapin, Rebsamen, El Komri, et piloté un contre-rapport sur l’Education nationale et la loi Peillon. La liste est encore longue…
“Si le renouveau de la vie démocratique consiste à instaurer comme principe d’action l’absence de fidélité, alors peut-être qu’elle a raison…”
Tout cela est le propre d’un travail de parlementaire, mais réduire mon activité aux trois sujets évoqués par Aurore Bergé démontre de sa part une volonté de créer la polémique sans autre objectif que de me cornériser. Si elle était honnête, elle reconnaitrait que ce n’est pas conforme à la diversité des sujets que j’aborde.
Elle estime également représenter le “renouveau de la vie démocratique” face à votre candidature. Que lui répondez-vous ?
Que si le renouveau de la vie démocratique consiste à instaurer comme principe d’action l’absence de fidélité, alors peut-être qu’elle a raison… Plus sérieusement, j’estime au contraire que le renouveau consiste à être attaché à ce que l’on croit, à son territoire, et à défendre avec courage le programme sur lequel on a été élu. Dans le cas de madame Bergé, je pense que nos électeurs ne sont pas dupes.
La République en Marche est cependant annoncée en tête des intentions de vote dans de nombreuses circonscriptions selon plusieurs sondages récents…
Les Français ne sont pas naïfs. Ils voient bien comment les choses se passent, et ils constatent le cruel manque d’adhésion au projet d’Emmanuel Macron, qui n’a été élu que par défaut. La stratégie de Macron consiste à faire croire que le clivage droite-gauche a disparu. C’est totalement faux ! Le bouleversement opéré par le nouveau président concerne l’organisation de la vie politique, mais cela n’impacte en rien la scission idéologique entre la droite et la gauche. Quant à la République en Marche… Si Emmanuel Macron n’est pas en train de créer un parti, je ne sais pas ce qu’il est en train de faire.
Les électeurs peuvent-ils tomber dans le piège du “fait majoritaire”, qui tend à faire élire une nette majorité en faveur du président récemment élu ?
Ils doivent absolument résister à cette tentation, si elle existe. Je refuse que Macron ait une majorité pour instaurer un gouvernement économique de la zone euro et arrimer la France à l’Allemagne. Je refuse que l’on donne un blanc seing à un gouvernement qui n’a aucune ligne conductrice dans la bagarre contre l’islamisme radical. Je refuse le libéralisme hors de contrôle combiné au matraquage fiscal sans précédent que Macron s’apprête à mettre en œuvre. Les bonnes idées du nouveau président n’ont pas besoin d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale pour être mises en œuvre.
Les cadres LR qui rejoignent Macron ? “Une clarification bienvenue pour le parti”
S’il propose, comme il l’a promis, un texte sur la moralisation de la vie politique, je le voterai. S’il propose une loi pour assouplir les contraintes pesant sur les petites et moyennes entreprises, je la voterai. Ai-je besoin d’appartenir à sa majorité pour voter en faveur de ses bonnes propositions, celles qui prennent en compte l’intérêt supérieur de la France ? Absolument pas.
Quand on l’accuse d’avoir changé de bord par opportunisme, Aurore Bergé répond qu’Emmanuel Macron “présente une politique très proche de celle que voulait Alain Juppé”. Cette réponse n’illustre-t-elle pas la fracture entre deux droites que Les Républicains tentent vainement de réconcilier ?
Au fil des années, Les Républicains sont en effet devenus un cartel électoral plus qu’un véritable lieu de conviction. Les primaires ont permis de mettre les choses au clair de manière sensible, avec l’élection de François Fillon. On pense ce que l’on veut de l’homme, mais son projet, désigné avec force par les militants, avait le mérite de la clarté.
On voit bien ici la raison pour laquelle la catégorisation “droite” et “gauche” explose : Les Républicains n’acceptent pas la fonction qui devrait être celle de tout grand parti de droite dans une démocratie : porter les idées conservatrices. La vision gaullienne de la France indépendante et de l’Etat protecteur est toujours d’actualité. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas être généreux ! Mais la générosité doit intervenir dans un cadre solide qui ne peut être celui d’une société multiculturaliste intégrée au modèle anglo-saxon de la mondialisation. L’indispensable ouverture sur le monde doit nécessairement être accompagnée d’un enracinement dans notre identité. Cet équilibre est fondamental. Les juppéistes ne dansaient que sur la jambe de l’ouverture… Il est donc tout à fait logique qu’ils changent de camp. C’est une clarification bienvenue pour le parti.
Cette idée de clarification idéologique est votre cheval de bataille depuis la défaite de la droite au premier tour de l’élection présidentielle. Dans une droite en recomposition, savez-vous par qui elle pourrait s’opérer ?
Le congrès qui attend Les Républicains à l’automne prochain sera un moment décisif. Je continue de penser qu’aucune issue ne serait satisfaisante sinon la victoire d’un projet assimilable à l’aile politique de Philippe Séguin.
J’espère que Laurent Wauquiez, entouré de personnalités proches de Nicolas Sarkozy, pourra l’emporter en défendant cette ligne-là.
Cela doit-il obligatoirement passer par une rupture avec les centristes et ceux qui aujourd’hui sont tentés de « se mettre en marche » ?
Je ne le pense pas. Les lendemains de défaite sont toujours des moments où les fractures et les différences sont plus fortes que les raisons de s’unir. Toutes les personnes qui ont signé le communiqué pour répondre à la prétendue “main tendue” d’Emmanuel Macron sont en réalité en train de voir le collet se refermer autour de leur cou.
Nous assistons depuis le 7 mai à une opération de destruction pilotée par Emmanuel Macron avec, il faut le dire, beaucoup de talent et d’habileté. Il n’appelle pas les gens à lui pour leurs convictions, mais pour diviser et briser leur camp d’origine. Il n’a pas besoin d’eux pour mettre en place son projet… Ils sont instrumentalisés par une personne dont le seul objectif est d’anéantir ses opposants. Je suis convaincu qu’il va échouer. On essaie de faire avaler aux Français que seuls les extrêmes s’opposent à Emmanuel Macron. C’est une escroquerie intellectuelle ! La droite doit être là pour incarner une opposition féroce.
Le nouveau Premier ministre correspond au portrait-robot de l’homme politique de droite qui a cédé aux avances d’Emmanuel Macron. Que pensez-vous d’Edouard Philippe ?
Je pense que, comme Aurore Bergé d’ailleurs, il a récemment combattu avec vigueur le projet d’Emmanuel Macron avant de le rallier sans rougir. Au fond, le choix d’Edouard Philippe s’inscrit dans la parfaite lignée d’une campagne présidentielle à l’issue de laquelle nous avons assisté à la victoire d’un candidat entretenant continuellement les ambiguïtés. Monsieur Macron a l’ambition de gouverner avec une majorité qui ne distingue pas les projets politiques. Pour ne pas nous faire voler les élections législatives, il faut sortir de cette confusion idéologique. Le projet d’Emmanuel Macron, et celui de sa “République en Marche”, est celui du matraquage fiscal et économique, d’une société multiculturelle et donc communautariste, celui de l’absence de projet familial et d’une vision de la société dans l’exacte continuité de celle défendue par François Hollande. Les élections du mois de juin sont l’occasion d’imposer la clarté dans le débat politique.
Propos recueillis par Bastien Lejeune.