« Défendre les Chrétiens d’Orient est un devoir pour la France » – Interview pour Boulevard Voltaire
« Défendre les Chrétiens d’Orient est un devoir pour la France »
Interview pour Boulevard Voltaire sur la situation des chrétiens d’Orient, la mission de la France et mon livre « Notre sang vaut moins cher que leur pétrole. »
– Vous sortez un livre qui s’appelle « Notre sang vaut moins cher que leur pétrole », cette phrase n’est pas la vôtre, c’est une phrase qu’on vous a dite, alors qui vous l’a dite et qu’est-ce qu’elle veut dire ?
C’est le patriarche syriaque orthodoxe de Damas, la première phrase qu’il m’a dite, c’est celle-ci : « Notre sang vaut moins cher que leur pétrole ».
Dans l’esprit du patriarche orthodoxe syriaque de Damas, cela voulait dire que tout s’explique par le fait que lorsque les pays occidentaux, les grandes puissances occidentales ont à choisir entre le maintien de leur approvisionnement énergétique et les bonnes relations avec les monarchies pétrolières du Golfe d’un côté, ou bien la protection des chrétiens d’Orient, ce qui est la vocation en particulier de la France, de l’autre, ils choisissent la première option.
Dans ce conflit avec l’État islamique et avant dans l’implantation d’Al-Quaïda dans la région, les puissances occidentales ont visiblement préféré le maintien de leur approvisionnement en énergie pétrolière plutôt qu’une énergique protectrice des chrétiens d’Orient, c’est ce que voulait dire le patriarche et malheureusement, les faits lui donnent raison.
– Il est de bon ton de dire aujourd’hui que l’État islamique est notre ennemi absolu. Dans ce livre, vous nuancez un peu ce propos en disant que c’est évidemment l’ennemi, mais qu’il y a un ennemi aussi, qui est le manque de volonté notamment des pays occidentaux. Est-ce que je résume bien votre pensée ?
– C’est parfaitement résumé. Nous avons deux problèmes : le premier, c’est que nous sommes les seuls en Occident à considérer que Daesh est l’ennemi numéro 1. Toutes les puissances de la région considèrent comme une menace plus importante une autre force, une autre armée, un autre pays. Ainsi, pour les Saoudiens, la menace principale, c’est l’Iran ; pour Israël c’est le Hezbollah ; pour le gouvernement syrien ce sont les Frères musulmans et Al-Quaïda à égalité avec Daesh dans une large mesure ; pour les Turcs, les ennemis principaux sont les kurdes. Nous seuls, Occidentaux, avons tendance à considérer que Daesh est la menace principale, parce que Daesh est une menace qui s’exporte jusqu’à chez nous, alors qu’elle est sur place dans ces pays, qu’elle est plus ou moins contenue, maintenant elle l’est d’avantage depuis l’intervention russe en Syrie en septembre 2015. Mais globalement, effectivement, Daesh est une menace absolue pour nous parce que c’est une mise en cause de nos modes de vie, de nos racines culturelles chrétiennes pour les Occidentaux, mais je crois que tout aussi important est notre propre ennemi intérieur : c’est notre propre faiblesse à avoir laissé pour la défense d’intérêts économiques ou prétendus tels, faute d’avoir également compris très bien ce qui passe en Islam et dans les pays musulmans et ce qu’est l’Islam radical par rapport à d’autres expressions locales, tout cela cumulé fait qu’effectivement, nous avons beaucoup tardé à lutter efficacement et énergiquement contre Daesh.
– Dans ce livre, vous expliquez que vous vous êtes rendus sur le terrain pour voir vous-même. Vous expliquez ce qui a été vécu comme une trahison par les peuples orientaux, mais vous développez aussi les conséquences désastreuses pour nos propres pays : quelles sont-elles ?
– D’abord, il y a au fond une perte terrible d’influence culturelle, diplomatique et donc économique, parce que tout cela est lié, donc nous perdons ce qui faisait notre assise locale. C’est-à-dire notre capacité d’abord défendre les minorités, en particulier à placer sous la protection française les minorités chrétiennes dans cette région. La réalité est que nous protégions ces communautés, nous ne le faisons plus donc nous perdons en influence, nous perdons en confiance, nous perdons en prospérité, nous perdons en rayonnement international, car ce qui se passe au Proche-orient a été traditionnellement significatif et emblématique de la diplomatie française et de sa capacité à rayonner dans le monde entier. Peut-être un seul chiffre pour le dire, je ne crois pas le citer dans le livre, mais il y avait un peu moins d’un millier d’étudiants au lycée français à Damas en 2010, il en reste un peu moins de 200 maintenant : nous reculons petit à petit, au profit des russes qui deviennent les maîtres du jeu localement, premièrement, et deuxièmement des puissances sunnites de la région qui reprennent petit à petit le pouvoir sur la région.
– Il y a un dernier point que vous abordez dans ce livre là, en parlant notamment des chrétiens d’Orient, c’est le sens de leur présence sur place.
– La présence des chrétiens au Proche-orient a deux sens particuliers : le premier est civilisationnel, comme m’a dit le grand mufti de Damas, quand je l’ai rencontré la première fois en juillet de l’année dernière. Je lui ai dit : « Mais comment se fait-il que vous qui êtes le chef des musulmans syriens, vous vouliez absolument que les chrétiens restent ici ?». Et il m’a fait cette réponse, qui est d’un bon sens désarmant : « Mais c’est parce qu’ils sont chez eux. Ils étaient même là avant nous d’une certaine manière », Et puis, il y a cette parole que m’a dite le président Bachar Al-Assad, lors de notre deuxième entretien en octobre dernier : « Si l’extrémisme musulman ne s’est jamais développé en Syrie, c’est grâce à la présence des chrétiens ». Ce propos est extrêmement révélateur, parce que cela veut dire qu’au fond, le message chrétien, qui est un message de paix et d’amour, très clairement, en tout cas c’est son essence, se vit et s’incarne au sein de ces communautés d’une manière telle que tous les voisins qui peut-être ne sont pas imprégnés de la même dimension de charité, d’amour et de sens de la paix, sont obligés finalement d’en tenir compte et d’apprendre à vivre avec. Il est très regrettable que les responsables politiques des pays Occidentaux ne s’en préoccupent pas, sans doute pour ne pas avoir à s’en occuper la fois d’après, parce que quand il n’y en aura plus, il n’y aura plus de problèmes. Les responsables politiques des pays Occidentaux veulent à tout prix les faire partir de là-bas, parce que comme ça au moins la question sera « réglée » par défaut. Je pense que nous devrions travailler au contraire à ce que la paix soit rétablie et que les Chrétiens puissent réinvestir leur village et leur maison. Ils paient pour nous dans une large mesure, le prix du sang qui est très très élevé, mais sans doute le martyr qu’ils sont en train de subir est, doit être aussi pour nous, une source de revitalisation.