Classiquenews : « La culture est trop sérieuse pour la confier à l’Etat ».
Retrouvez mon interview sur la culture pour Classiquenews.com dans le cadre de la primaire – 13 juin 2016
Quelles sont les valeurs que la Culture doit préserver et transmettre ?
– La culture doit d’abord transmettre les valeurs de l’autonomie de l’esprit et de l’élévation de l’âme.
Être cultivé, se cultiver, cela veut dire acquérir un certain nombre de connaissances qui permettent de se constituer dans une large mesure son propre univers, sa propre référence et d’appréhender le monde d’une manière autonome. C’est ça qui me paraît le plus important.
La culture doit transmettre la valeur du beau. J’apprécie la culture et je lui reconnais un très grand intérêt quand elle donne à voir ce qu’il y a de plus beau et de plus grand dans l’humanité. Cela ne veut pas dire qu’elle doit ignorer les bassesses ou les choses plus laides. Mais en tout cas, moi qui suis défenseur de la paix des esprits et de l’harmonie, il me semble que seule la beauté peut réconcilier les hommes en réalité. Si la culture n’y vise pas, alors je pense qu’elle rate une de ses finalités essentielles.
De quelle façon, la Culture peut-elle jouer un rôle sociétal ?
– L’Homme ne peut pas vivre sans et c’est la première différence entre les hommes et les animaux. L’homme est le seul animal cultivé, étant donné que c’est le seul animal qui soit intelligent, qui soit raisonnable comme disait le grand Aristote. Étant le seul animal doté d’un esprit, la manière dont il entretient son esprit, c’est la Culture. Et elle revêt des formes extrêmement variées. Je pense que la manière de jouer fait partie de la culture, que la cuisine fait partie de la culture. Je pense que la façon dont on envisage la société familiale fait partie de la culture et bien entendu l’ensemble des arts, mais pas seulement. Et au fond, la présence dans le corps social de l’expression artistique, de la mise en valeur des artistes, de la défense de leur liberté de créer avec des limites mais avec une liberté de créer, tout ça fait partie des manières dont la culture doit être présente au sein du corps social. Et je n’oublie pas l’enseignement artistique à l’école qui me paraît être un des parents extrêmement pauvre aujourd’hui de l’éducation des enfants, des collégiens et des lycéens.
Existe-t-il une politique culturelle exemplaire, pour quelles raisons ?
– Dans les anciens régimes, les monarques ont traité le phénomène culturel de façon intéressante : on trouve une forme d’équilibre entre la nécessité de propager un message officiel – tous les pouvoirs politiques ont utilisé à cette fin la culture, comme un outil de politiques publiques – et en même temps le recours quasi systématique au mécénat, c’est-à-dire le fait de laisser les personnes qui avaient les moyens soutenir les artistes, encourager la création parfois contre le pouvoir politique ou dans une véritable opposition de messages ou de régime. Ça c’était une manière qui était intéressante et équilibrée. Et quand on regarde les fruits des siècles antérieurs en terme de réflexion culturelle dans tous les domaines que ce soit la littérature, la poésie, l’architecture, la peinture, la sculpture pourquoi pas la photographie et le cinéma même pour venir à des temps plus récents, il me semble qu’effectivement nous avons dans les régimes précédents des exemples de ce que peut être une politique culturelle réussie. Ce qui est regrettable, c’est qu’on entend aujourd’hui trop souvent le mot culture comme restreint à la diffusion artistique, mais dans une culture, il y a aussi une langue, il y a aussi la spiritualité, la manière dont on vit ensemble. La société matrimoniale fait partie de la culture au sens large d’un pays. Les modes de vie, tout cela constitue une culture avec un grand C si j’ose dire et pas seulement une politique culturelle : la culture ne se réduit pas à la politique culturelle. Et c’est je crois un des grands écueils de notre temps.
Êtes-vous pour la suppression du Ministère de la Culture ?
– Il y a deux impératifs : le premier est que l’État se recentre sur sa première responsabilité en terme de politique culturelle, qui est de protéger et transmettre le patrimoine, et qu’il laisse le soin aux autres acteurs de s’occuper de la diffusion culturelle, de la création. Il me semble qu’en confiant la diffusion culturelle à un ministère qui en est chargé, nous vivons quasiment sous le régime d’une forme de culture officielle dont il est en réalité malvenu de s’écarter. Cela participe de mon point de vue à la prolifération de la pensée unique. Et je pense qu’il faut absolument rompre avec cette tradition. Si on veut faire en sorte que l’expression artistique, la création artistique continuent de vivre dans notre pays, alors il faut d’abord protéger les artistes et leur donner un statut qui soit compatible avec les aléas de la création.
Sous ce rapport, le régime des intermittents n’est pas un mauvais régime. Ce qui est délétère dans le régime des intermittents, ce sont les abus de ce régime. Ce n’est pas le principe même, c’est la manière dont un certain nombre de personnes en abuse. Et comme d’habitude, malheureusement, c’est une mauvaise habitude française : pour ne pas avoir sanctionner ceux qui abusent de manière sèche et très dissuasive, on en vient à remettre l’ensemble du système en cause en considérant que d’une certaine manière, il faut supprimer le bébé avec l’eau du bain. Ce n’est évidemment pas la bonne solution. Les artistes pour beaucoup d’entre eux, ne peuvent pas vivre aujourd’hui de leur création ou de leur activité. Nous avons besoin que ces personnes soient accompagnées dans ce hasard des temps, le hasard des prestations qu’ils peuvent faire, le temps de la création qui est nécessaire pour trouver à la fois l’inspiration, le temps de la réalisation, de la diffusion, le fait de gagner leur vie avec ça. Après tout, c’est la grandeur d’une société que de permettre à ses artistes de vivre de leur production et de leur création. Ça il faut le maintenir, le statut des intermittents, sous ce rapport doit être protégé. Il n’y a pas besoin d’un ministère pour ça. Le statut des intermittents, ce sont les partenaires sociaux qui s’en occupent, ils le gèrent comme des grands, comme ils peuvent mais de manière autonome et c’est très bien ainsi. Je le répète, dès qu’on trouvera des mécanismes plus incitatifs pour les mécènes, que ce soit des personnes physiques ou des personnes morales, pour financer des forces de création, on n’aura plus besoin de recourir à la parole d’un État, qui doit distribuer des agréments, vérifier que tous les papiers sont disponibles, faire entrer la création dans une forme de circuit administratif antinomique avec l’idée même de la création artistique.
Cette antinomie, comment le ministère de la culture en sort-il ? En soutenant les amis, en nommant des gens dont on a connaissance. Si vous parlez un peu avec quelques intermittents du spectacle, un statut que je connais bien, vous verrez que ce sont souvent les mêmes qui sont invités dans les bons endroits, que l’on se nomme par coterie dans les postes à responsabilité dans les théâtres nationaux et les établissements publics. Je pense qu’il faut sortir de ça. Je pense qu’il faut maintenir le statut des intermittents et assouplir la possibilité pour les mécènes de soutenir la création artistique. Ça permettra à l’État de se désengager de cette création et de se recentrer sur la protection de notre patrimoine artistique et culturel national.
Les contribuables peuvent considérer qu’ils n’ont pas à financer des choses de cette nature. Personne n’a les moyens d’entretenir Notre-Dame de Paris, le Château de Versailles, la Tour Eiffel, le Canal de Briare ou je ne sais pas encore quel édifice ou quel élément du patrimoine national. Il est très suffisant qu’une direction centrale ou un secrétariat d’État au patrimoine auprès du Premier ministre soit nommé pour faire ça, nous n’avons pas besoin d’un ministère de la culture qui a trop tendance à devenir un ministère de la propagande. C’est ce que je lui reproche.
[…] Le ministère de la culture a un budget de soutien à la création de 58 milliards d’euros. Si vous transférez ce budget de soutien à la création depuis les impôts payés par les Français, parce que ce sont des impôts qui financent tout ça, vers le budget d’un certains nombre de personnes, de mécènes privés, il y a tout à fait moyen de trouver des dispositifs supplétifs pour faire en sorte que ces créations et ces différents programmes soient soutenus.
Il y a suffisamment d’intervenants dans le pays et suffisamment de mécanismes qui pourraient permettre effectivement de soutenir l’aide à la création et à la diffusion.Sur le reste, je ne crois sincèrement pas qu’il faille absolument un ministre pour servir de tutelle au directeur général de l’institut national de l’audiovisuel, je ne crois pas d’un ministre pour être la tutelle des présidents de chaînes de télévisions publiques ou de chaînes de radio. Je ne crois pas à tout ça. Cela ne sert à rien. Donc si ça ne sert à rien, il faut le supprimer.