« Jean-Frédéric Poisson est-il de gauche ou d’extrême-droite ? » Enquête dans La Vie.
Alors que le premier tour de la primaire de la droite et du centre se tiendra le 20 novembre prochain, le candidat du Parti chrétien-démocrate (PCD) reçoit les soutiens d’une droite catholique, identitaire et proche de l’extrême-droite. Pour autant, il défend aussi des valeurs de gauche. Enquête.
Voir l’article sur le site de la Vie.
Le déjeuner a lieu courant 2015 dans un restaurant thaï de la capitale. Comme à son habitude, Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, président du Parti chrétien-démocrate, sirote un américano. Ce jour-là, quelques mois avant son entrée en campagne dans la primaire de la droite et du centre, il s’interroge encore sur l’opportunité d’un tel choix. Il tâte le terrain auprès de Guillaume de Thieulloy, directeur du Salon Beige, « blog d’information animé par des catholiques laïcs », représentant une droite identitaire proche des idées défendues par Marion Maréchal-Le Pen. Le quadragénaire se souvient : « Il était clair pour Jean-Frédéric Poisson que la participation à cette primaire était le seul moyen de peser sur le programme des autres candidats. » Le député lui demande aussi s’il pourra compter sur le soutien du Salon beige (60 à 70.000 visiteurs uniques par jour affichés). « Je lui ai répondu que sur le plan idéologique, nous serions volontiers le relais de ses positions. » Abrogation de la loi Taubira, instauration du droit du sang, restriction du droit à l’avortement… Ils tombent d’accord sur des problématiques de fond, « même sur la politique étrangère, ce qui est une bonne surprise », nous confie Guillaume de Thieulloy aujourd’hui.
« L’électeur catholique n’est pas forcément là où on l’attend »
Le successeur de Christine Boutin ne l’a jamais caché et l’a même dit à La Vie ouvertement, au risque de choquer : « Sur un certain nombre de points comme la politique familiale ou le respect de la vie, je me sens plus proche de Marion Le Pen que de NKM. » À plusieurs reprises, il a énoncé l’idée qu’il fallait en finir avec le « cordon sanitaire » entre droite et extrême-droite. Il s’est rendu à la manifestation de la droite « hors les murs » organisée à Béziers par Robert Ménard, au printemps dernier. Charles Beigbeder, auteur de Charnellement de France (Editions Pierre-Guillaume de Roux), catholique revendiqué et cofondateur du mouvement droitier « L’avant-garde » avec Charles Millon, ancien ministre de la Défense, fera un discours en préambule du meeting de Jean-Frédéric Poisson le 12 novembre à Issy-les-Moulineaux. « Parmi les sept candidats, il est celui qui a le plus conscience de l’importance du réenracinement de la République dans ses valeurs chrétiennes, commente Charles Beigbeder.Sa vision de l’homme puise au cœur de notre civilisation. » Enfin, c’est à la journaliste indépendante Charlotte d’Ornellas – collaboratrice de Boulevard Voltaire, site lancé en 2012 par Robert Ménard, et du magazine Valeurs Actuelles – que Jean-Frédéric Poisson a demandé de rencontrer les animateurs du premier débat télévisé de la primaire. « Il s’agissait d’une réunion d’organisation très terre à terre, nous raconte-t-elle, tant sur la couleurs des voyants sur les pupitres que sur les sujets abordés. Mais c’est vrai qu’il me fait confiance. »
Il répond aux attentes des gens qui votent FN mais n’ont rien d’extrême-droite. Il les écoute et les entend. Il n’est pas bien-pensant.
« Il parle à un électorat qui vote FN par sentiment d’abandon et qui ne se reconnaît pas dans les autres partis », justifie Charles-Henri Jamin, son directeur de campagne. Pour Franck Margain, conseiller régional d’Île de France, membre du PCD depuis sa création en 2002 et qui se revendique de l’aile gauche de ce parti fondé par Christine Boutin, « il répond aux attentes des gens qui votent FN mais n’ont rien d’extrême-droite. Il les écoute et les entend. Il n’est pas bien-pensant ».
Jean-Frédéric Poisson, l’inconnu de la primaire
Ainsi, si Alain Juppé est très vite apparu comme le candidat des centristes, Jean-Frédéric Poisson semble-t-il être le candidat naturel des catholiques identitaires et d’une frange de l’extrême-droite. Il réunit des soutiens qui ne se retrouvent ni dans le parti Les Républicains ni au Front national tel qu’il est dirigé par Marine Le Pen et où prédomine une ligne conduite par Florian Philippot. « Le FN est jacobin, étatiste et chevènementiste », fustige Charles de Meyer, directeur de SOS Chrétiens d’Orient et attaché parlementaire de Jacques Bompard, député du Vaucluse, ex du FN et président de la Ligue du Sud, parti d’extrême-droite. Et de croire : « Jean-Frédéric Poisson prépare l’avenir de la politique à droite en alliant opposition au libéralisme économique et opposition au libéralisme sociétal et culturel. »
Sur certains sujets, le candidat du PCD va même plus loin que Marine Le Pen, voire pointe ses incohérences. Elle affirme que l’islam est compatible avec la République ? Lui prétend que cette religion ne l’est pas, lecture du Coran à l’appui. Sur l’école, il prône la liberté de choix et dénonce les restrictions scolaires de plus en plus nombreuses. « Nous l’avons alerté sur l’ambigüité du FN à ce sujet, confie Guillaume de Thieulloy. Certains conseillers y défendent la liberté de choix quand d’autres sont favorables à ce qui ressemble à un service national, laïque et obligatoire… Ce n’est pas tranché ! » Il s’oppose à la préférence nationale, à la vision restrictive de la laïcité, à la peine de mort, entre autres sujets de discorde. Ce qui fait dire à Florian Philippot sur BFM TV que « Jean-Frédéric Poisson est incompatible avec le FN. » Pour Guillaume de Thieulloy, le candidat ne condamne personne, ne s’interdit pas de dire ce qu’il pense et oblige ainsi le FN et les leaders de droite à répondre sur certains sujets qui peuvent être gênants pour eux.
Sur le social, il est d’une droite gaulliste, chrétienne, ouvrière. Sur les mœurs, il est d’une droite catholique réactionnaire. Mais ses soutiens d’extrême-droite sont de pure circonstance.
Est-ce pour plaire à cette frange de ses soutiens que Jean-Frédéric Poisson a évoqué la proximité d’Hillary Clinton avec les « lobbies sionistes », provoquant un tollé au sein de Les Républicains (il a demandé pardon depuis lors) ? De même, il a évoqué la possibilité de voter pour Marine Le Pen plutôt que pour Alain Juppé au second tour de la présidentielle, avant de se rétracter, et de nous dire clairement : « En cas de deuxième tour Juppé / Le Pen, je voterai Juppé bien que je ne sois pas d’accord avec son fédéralisme européen, sa naïveté à l’égard de l’islam et le fait qu’il ne considère pas le choc migratoire comme un choc. » Les propos polémiques ressemblent peu à ce philosophe de formation. Mais en fin de campagne, ils peuvent apporter de la notoriété, voire agréger les soutiens. « Il est prêt à faire des ruptures,analyse Guillaume Bernard, enseignant à l’Institut catholique d’études supérieures et auteur de La Guerre à droite aura bien lieu (Desclée de Brouwer). Il est également prêt une réorganisation politique sur des convergences doctrinales plus que partisanes. Il est le véritable tenant d’une droite classique, réactionnaire, qui affirme que les corps sociaux comme la famille et la nation sont des entités en elles-mêmes. »
« Pardon pour ce moment » : quand Poisson fait pénitence
Mais très inspiré par la doctrine sociale de l’Église, il défend aussi des valeurs traditionnellement estampillées de gauche. Ce fin connaisseur du monde du travail s’est érigé l’an dernier contre la loi portée par Myriam El Khomri, tout comme les frondeurs du parti socialiste ! Dans le sillage de Christine Boutin, il défend également avec force la dignité des personnes dans les prisons. « Sur le social, il est d’une droite gaulliste, chrétienne, ouvrière, note Jacques Lambert, cadre à la CGT et ami de Jean-Frédéric Poisson. Sur les mœurs, il est d’une droite catholique réactionnaire. Mais ses soutiens d’extrême-droite sont de pure circonstance. »
Tandis que nous lui reposons la question, « Alors ? Êtes-vous de gauche ou d’extrême-droite ? », le candidat est alpagué par un membre du Quinze parlementaire dans lequel le député joue depuis qu’il est élu. Le fonctionnaire répond pour lui : « C’est un pilier gauche qui pousse vers la droite ! » Jean-Frédéric Poisson, tout sourire, n’aurait pas mieux dit.