Interview pour Atlantico : « L’Eglise n’est pas un lobby ! Je m’oppose à la loi Sapin 2. »
1- Vous avez fait savoir que vous ne voteriez pas la loi Sapin 2 sur la transparence et la lutte contre la corruption. A quelles dispositions précises de ce texte êtes-vous plus particulièrement opposé ?
Plusieurs dispositions de ce texte me dérangent.
Tout d’abord, je me demande si l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation », est vraiment respecté avec les nouvelles mesures concernant les lanceurs d’alerte. Il a en effet été décidé dans ce projet de loi qu’une définition plus large serait donnée du « lanceur d’alerte » (article 6A). Elle n’est désormais plus limitée aux seuls cas de corruption. De plus, un amendement du rapporteur prévoit de sanctionner toute divulgation de l’identité d’un lanceur d’alerte. Ce que je crains, c’est que ceci soit la porte ouverte à des dérives, des accusations en tout genre, parfois abusives. Attention à ce qui se profile : un système où la dénonciation gratuite serait possible avec tous ses effets, alors même qu’il n’y aurait pas de responsabilité de celui qui a dénoncé sans preuve !
Ce texte impose aussi une obligation pour les entreprises et les collectivités de se doter de procédures internes permettant de recueillir des alertes. Ne pensez-vous pas que les entreprises et les collectivités ont d’autres problèmes plus graves et plus importants à gérer ?
De plus, ce projet de loi veut contraindre les grandes entreprises à divulguer des informations stratégiques (chiffre d’affaires, bénéfices, impôts payés, nombre de salariés) pour chacune de leurs implantations. Une fois de plus, on veut être les bons élèves. Quelle candeur ! Cela entamerait la compétitivité des entreprises françaises, leurs concurrentes étrangères ayant accès à ces données stratégiques. Autant se tirer une balle dans le pieds…
Enfin, ce Projet de loi présente les associations à objet cultuel comme des représentants d’intérêt, des lobbys en somme. C’est inacceptable.
2- Que changerait concrètement pour l’Eglise catholique, par exemple, le fait d’être considérée comme un « lobby » ? Dans quelle mesure ces nouvelles obligations de transparence sont-elles susceptible de lui nuire ?
Une des conséquences pratiques serait que l’Eglise et les autres associations cultuelles seraient tenues comme tout lobbyiste de transmettre chaque année à l’administration le bilan de leurs activités de «lobbying» ! Voilà donc une nouvelle mesure restrictive en matière de liberté. Sauf à considérer que toute religion serait un poison potentiel, ce qui n’est pas sans rappeler quelques idéologies. Et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans tout ça ?
Les conséquences au niveau social et au niveau symbolique seraient également dramatiques. Cela révèle en effet une vision profondément faussée et réductrice des cultes : le législateur n’arrive plus aujourd’hui à identifier les cultes autrement qu’au service d’intérêts particuliers.
Il va falloir que le gouvernement nous précise en quoi consisteraient ces intérêts particuliers ! Quel serait l’intérêt particulier d’un prêtre qui viendrait échanger avec un parlementaire sur l’euthanasie par exemple.
Si cette idée devait perdurer, alors se posera la question à ce gouvernement d’inscrire aussi la franc-maçonnerie sur la liste des lobbies, non ? Ce qui devrait en embarrasser plus d’un de demander un peu plus de contrôle sur les activités de ceux dont ils sont proches, très proches… À l’exemple de la Ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, qui s’est fait remettre une « médaille » des mains de la patronne de la Grande loge féminine de France le 2 avril dernier au Palais Brogniart !
La mission de l’Eglise est de contribuer à la réflexion pour permettre d’avancer vers le bien commun ! Cette décision du gouvernement de présenter les associations cultuelles comme des lobbies révèle un laïcisme de plus en plus radical à l’œuvre et son souhait d’anéantir de la sphère publique la liberté d’expression religieuse. Elle révèle aussi le désir du gouvernement de contrôler et d’affaiblir tout ce qui échappe à son pouvoir et à sa compréhension.
3 – Pourquoi faut-il, selon vous, lutter contre la dérive idéologique plus large dans laquelle s’inscrit ce projet de loi ? Et par quels moyens ?
Ce projet de loi incite, sous couvert de transparence, à développer un esprit de soupçon, de méfiance : à l’égard des entreprises, à l’égard des personnages publics, à l’égard des religions, à l’égard des parlementaires qui seraient toujours sous la coupe d’influences extérieures. Or je pense que c’est d’un esprit de confiance dont nous avons besoin pour affronter l’avenir aussi sereinement que possible.
Ce projet de loi permet à l’Etat de s’immiscer toujours plus dans tout. Or je considère que l’Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes. On le voit bien, il s’affaiblit à force d’être présent où il ne doit pas et de n’être pas présent où il doit l’être. Il suffit de voir les violences qui traversent notre pays et le manque de réponse réelle en face…
L’Etat passe beaucoup de temps à contrôler les initiatives personnelles, à endiguer les activités, à mettre des freins à tout ce qui peut être novateur, aux nouvelles manières de concevoir l’économie. Nous souffrons d’une forme d’asphyxie générale. Pour ma part, je suis persuadé que si on laisse aux Français, là où ils sont, dans leur famille, dans leurs associations, dans leur entreprise, dans leur territoire, la liberté dont ils ont besoin pour renouer avec la prospérité, ils trouveront eux-mêmes les moyens de le faire. Il faut simplement que l’Etat assure un cadre d’action, assure le respect de l’ordre public, assure le respect des libertés et permette à chacun de déployer sa créativité, son initiative, sa participation propre au bien commun. Cela veut dire que l’Etat doit récupérer sa liberté de décision et sa puissance.