Ma tribune dans Le Figaro : Les élus sous le regard d’une inquisition publique
J’ai rédigé ce matin une tribune dans Le Figaro, retrouvez-la en intégralité ci-dessous. Pour la télécharger et la voir sous sa forme publiée, cliquez ici.
Les élus sous le regard d’une inquisition publique
La volonté de transparence qui agite ces jours-ci le monde politique, et a conduit lundi soir le gouvernement à publier le patrimoine de ses membres, répond à une triple exigence.
La première est issue du devoir de cohérence qu’a tout homme en regard de ses propres engagements et convictions, et que les responsables politiques se doivent plus que tous autres de respecter.
La deuxième est la demande pressante de résultats en termes d’action publique, réclamés tout autant comme une preuve de compétence que comme un signe d’engagement personnel des élus dans leurs fonctions.
La troisième est issue du devoir strict d’honnêteté, qui vaut tout autant dans l’exercice de sa charge que dans les actes de la vie quotidienne.
Il faut le redire : ces trois exigences s’imposent de fait à toute personne dès lors qu’elle exerce une responsabilité, quelle qu’elle soit. Leur conjonction n’est au fond pas très éloignée de ce qui pourrait se résumer en deux mots, pris aux auteurs classiques : le courage et la justice.
Que les Français exigent de telles qualités de leurs élus dans la période que nous traversons n’a rien d’étonnant. Que les pouvoirs publics actuels décident de renforcer les moyens de lutte contre toutes les fraudes, sans toutefois en inventer aucun, répond également tant aux exigences de la justice générale qu’à celle de l’efficacité des politiques publiques.
Pourquoi alors cette irruption de la transparence dans le débat public pose-t-elle problème ? Le contexte politique et les possibles conséquences d’une volonté illimitée de transparence permettent de l’expliquer.
Premièrement, le contexte politique. Comment ne pas voir que les récentes annonces du chef de l’Etat cherchaient avant tout à diluer la responsabilité des membres du gouvernement et de son trésorier de campagne qu’il avait nommés, en la projetant sur des membres du Parlement qu’il ne choisit pas ? Que dire de l’inéligibilité « voire à vie » (François Hollande dixit) des élus qui seraient condamnés pour fraude fiscale ? Elle pose d’abord des difficultés sur le plan constitutionnel, les peins d’inéligibilités devant être limitées dans le temps/ Mais surtout, il faut rappeler que les assassins et grands criminels eux-mêmes, une fois leur réhabilitation prononcée par les tribunaux, auraient tout loisir de se présenter devant les électeurs. C’est une bien curieuse hiérarchie des valeurs qui est ainsi défendu par le chef de l’Etat : voulant afficher sa détermination à combattre l’argent, il se soumet en réalité, symboliquement, à sa domination.
C’est sans doute la raison pour laquelle les Français ne croient pas que la publication des patrimoines arrangera quoi que ce soit à la situation générale de notre pays. Ils ne croient pas non plus que publication égale sincérité : voici comment l’exigence de transparence se fracasse contre sa propre mise en œuvre.
En fin de compte, la publication des patrimoines des responsables politiques porte en elle bien plus de dangers que de bénéfices pour le corps social. Elle inviterait à tous les concours, à toutes les comparaisons, à – paradoxalement – tous les soupçons. Elle ferait du peuple dans son ensemble un juge ultime et global, alors même que l’esprit des instituions dans la démocratie représentative organise l’inverse. Elle ferait entrer, comme par effraction, chaque citoyen dans la vie privée des élus et de leurs familles, au mépris du droit de ces dernières. Il y a là comme le rétablissement potentiel d’une inquisition publique qui n’aurait aucun contre-pouvoir, à l’égard d’accusés qui n’auraient aucun réel moyen de défense. Cet affaiblissement des droits fondamentaux des élus n’irait pas dans le sens d’un meilleur accomplissement de leur responsabilité.
Faut-il renforcer le contrôle de l’enrichissement des élus ? Pourquoi pas, en prenant en compte le fait que ces contrôles sont déjà possibles, et qu’ils sont parfois exercés. Mais l’attente première des Français n’est pas là. Qu’ils soient rassurés sur l’engagement et l’honnêteté de leurs représentants est une chose. Qu’ils soient mis en situation de « bouffer de l’élu » à leur petit déjeuner est tout autre chose. Il est regrettable que le chef de l’Etat et le gouvernement ne l’aient pas envisagé ainsi, et que ce faisant ils s’apprêtent à fragiliser davantage nos institutions.